L’origine des « Ateliers » remonte à l’été 1994 lorsque dix étudiants français volontaires ont rejoint dix étudiants roumains en fin d’études, dans l’ancien monastère d’Apostolache. Florence Babics qui encadre maintenant les ateliers avec moi en faisait partie. Là se déroule, depuis le mois de mai 1992, une opération pilote franco-roumaine réunissant, de l’étude au projet jusqu’au chantier, les spécialistes et professionnels des deux pays : documentalistes, historiens, archéologues, architectes, ingénieurs, laboratoires des matériaux, artisans… Il a paru judicieux d’y adjoindre des étudiants.
L’atelier s’est déroulé sur place du 20 au 30 juillet 1994, conjuguant suivi de chantier, visite d’édifices, travail de relevé, esquisses individuelles complétées par un travail en groupe. En janvier 1995, il s’est achevé à Paris par le projet de restauration ; il fut présenté avec succès à la Commission nationale des monuments et des sites roumaine, qui l’a approuvé le 2 mai. Il a été réalisé grâce à des fonds européens. Entre-temps, il avait reçu en octobre 1994 la médaille d’argent de la restauration à la biennale d’architecture de Bucarest.
La maturation de la méthodologie
Dans ses objectifs et son déroulement, cet atelier portait en germe tout ce qui caractérise les ateliers d’aujourd’hui et qui s’est affiné au travers des dix-neuf ateliers qui ont suivi : mettre l’ensemble des connaissances acquises durant deux ans à l’épreuve de la réalité du terrain et établir, pour un édifice ou un ensemble architectural et son environnement immédiat, un projet de conservation.
Plus particulièrement, il s’agit de définir la méthodologie qui permettra de passer de l’observation et la prise d’information, à l’analyse, puis à l’interprétation et, enfin, au projet avec ses composantes multiples. L’exercice de cette méthodologie est développé palier par palier durant les huit mois qui séparent la campagne du relevé au projet, chaque phase faisant l’objet d’un rendu d’étape.
L’architecte est alors confronté à deux efforts auxquels il n’est pas couramment habitué, mais qu’il rencontrera dans sa vie professionnelle. Il doit en effet sortir de la pratique individuelle ; se mesurer à d’autres cultures, à d’autres modes de raisonnement, ce qui signifie à la fois savoir organiser ses arguments et formuler un exposé clair et concis pour défendre son projet, mais également savoir l’enrichir, voire l’amender, au contact d’arguments contradictoires.
Il doit aussi savoir s’intégrer dans un travail d’équipe, préfiguration de la pluridisciplinarité, aussi bien au moment de la collecte d’informations sur le terrain (relevés, sondages, identification des vestiges, indices,.…) qu’aux différentes étapes conduisant au projet, sans en anticiper ni préjuger les conclusions.
Cette démultiplication du travail et la confrontation permanente de ces arguments conjugués permettent de dépasser la simple addition des individualités et créent le phénomène amplificateur connu sous l’expression de « l’effet de meute ». On a pu mesurer à chaque fois, au travers d’une méthodologie très rigoureuse, ses résultats incontestables. Ceci a permis parfois au sein de certaines collectivités, telles que Glasgow, Saumur ou Tonnerre, de ranimer le débat sur certains projets d’aménagement déjà adoptés. Éloquente réponse à la question « à quoi peut servir un architecte du patrimoine ».
La généralisation des ateliers
Douze ans après le premier atelier d’Apostolache, un important chemin a été parcouru ; les ateliers, autrefois réservés à quelques « routards volontaires » et limités au champ architecture, sont devenus le « projet long » du cycle d’études spécialisées. Ils concernent également le champ ville en tant que support des analyses urbaines en centre ancien et le champ patrimoine en tant que pratique de la recherche documentaire, historique et analogique.
Dans cette perspective, la seconde année ne suffit pas ; la création en première année de « l’atelier découverte » tel qu’il a été conduit à Châteaudun en septembre 2005 pourrait répondre à cette orientation en élargissant l’exercice sur deux ans.
La généralisation des ateliers à l’ensemble de chaque promotion et l’application à certains sites français, avec un succès encourageant, ne doit pas faire perdre de vue l’enjeu majeur des ateliers internationaux. En effet, dans ce domaine de la méthodologie rigoureuse et patiente, l’École de Chaillot détient une expérience reconnue. Avant de se laisser séduire par des horizons plus lointains, il semble urgent de renforcer —à l’instar de ce qui se fait en Bulgarie, en Roumanie et en Syrie— les échanges avec les autres pays de l’Union européenne tels que l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne, les pays baltes ou scandinaves. Il s’agit sans attendre de construire l’Europe patrimoniale de demain, de former les architectes praticiens qui vont concourir —ensemble— à en gérer l’avenir.
Benjamin MOUTON
ACMH-IGMH, professeur associé à l’École de Chaillot